La Revue hebdomadaire, Parisien, 7 Aut 1915A. MEILLET, La Langue albanaise, Professeur au Collège de France.=LA LANGUE ALBANAIS=On a souvent dit qu'un Etat tel que l'Autriche était utile pour organiser des nations diverses, obligées de coexister et incapables de se grouper elles-mêmes. L'évé nement vient de montrer, au contraire, que, dans une Europe dominée par le principe des nationalités, un Etat qui est simplement, suivant un principe courant au moyen Age, mais étranger au monde moderne, l'agrégat des pays appartenant à une famille royale, est une cause de dissolution; et c'est d'Autriche qu'est venue la grande guerre actuelle, souhaitée sans doute par beaucoup de gens en Allemagne, mais que la poli- tique autrichienne a provoquée.Habituée à vivre de luttes entre des nationalités qui tentaient de se constituer ou de se reconstituer, l'administration autrichienne a suscité en Albanie un Etat artificiel qu'elle espérait dominer. Les Albanais n'ont jamais réussi à se donner par eux-mêmes une unité nationale. Bien qu'ils soient en nombre assez faible, quelque deux millions d'individus, ils sont divisés en trois confessions religieuses: les uns musul- mans, d'autres orthodoxes, et d'autres catholiques. Grace à la forte organisation des missions catholiques dont ils étaient maîtres et qui faisaient du groupe catholique le seul centre possible d'une unité, les Autrichiens pensaient diriger l'Albanie. Mais ce n'est pas par hasard que les Albanais ne se sont jamais orga- nisés en un corps de nation; et la minorité catholique a rencontré l'hostilité de tout le reste de la population; il a suffi au prince désigné par l'Autriche d'être le représentant de cette minorité pour soulever le pays contre lui S'ajoutant aux autres échecs de sa politique balkanique, cette désillusion a dû être pour beaucoup dans le parti qu'a pris l'Autriche d'obtenir par la guerre ce que les intrigues de son administration et de ses missions ne réussissaient pas à lui donner.Pourtant il y a réellement une nation albanaise, mais amorphe. La langue albanaise, qui est tout à fait à part, donne une idée du caractère de la nation, et il vaut la peine de l'examiner.La langue albanaise n'est connue que depuis un temps assez court. On n'en a pas de monuments anté- rieurs au dix-septième siècle. Et ceci déjà est signifi- catif. Il n'est pas surprenant qu'il n'y ait pas de textes albanais avant l'époque chrétienne: peu de langues ont été écrites en Europe à une date aussi ancienne. Mais, du jour où le christianisme s'est propagé, on a en général éprouvé le besoin de fixer par écrit les langues qui avaient une certaine importance nationale. La propagande chrétienne, qui a utilisé le gotique, l'allemand, l'anglais, l'irlandais, le slave, l'arménien, a négligé l'albanais.Bien qu'il soit séparé de la période de communauté indo-européenne par une longue période de profondes transformations, l'albanais se reconnait très vite pour une langue indo-européenne. Il offre encore bien des particularités grammaticales qui sont des restes du type indo-européen, et les formes indo-européennes per- mettent d'expliquer l'ensemble de sa grammaire. Un nombre appréciable de mots de son vocabulaire sont d'origine indo-européenne, et l'examen de ces motspermet de déterminer comment du systèine phonétique indo-européen on est passé au système albanais: la théorie des correspondances phonétiques entre l'indo- européen et l'albanais est faite dans les grandes lignesDès maintenant on sait que l'albanais appartient, parmi les langues indo-européennes, au groupe des dialectes orientaux, avec le slave, l'arménien, l'iranien et le sanscrit. Mais ceci n'a de valeur que pour une période ancienne, antérieure à la dispersion des dia- lectes indo-européens.Après cette dispersion, rien ne donne à penser que, à aucun moment, l'albanais ait été la langue d'une grande nation. On n'en a trace nulle part dans l'antiquité. Et le groupe n'est représenté maintenant que par un nombre restreint de parlers, qui sont sensiblement distincts les uns des autres, bien que les ressem blances entre ces parlers locaux soient encore très grandes et que tous les individus parlant albanais puissent, avec peu d'effort, s'entendre entre eux. La comparaison avec le celtique est instructive: comime l'albanais, le celtique n'est représenté aujourd'hui que par d'assez petits groupes de populations. Mais, sans parler de ce que l'histoire enseigne sur l'empire gaulois, et en faisant abstraction de toute l'ancienne littérature irlandaise et galloise, la variété actuelle des parlers celtiques, ceux de type gaélique, d'une part, en Irlande et en Ecosse, ceux de type brittonique, de l'autre, dans le pays de Galles et dans l'Armorique française, montre que les parlers celtiques maintenant employés sont des survivances de langues plus importantes et dont l'usage s'étendait plus loin. Rien de pareil pour l'albanais il constitue un petit groupe, peu diversifié, dont le passé est inconnu et qui n'a jamais été imperial Jusqu'à ces dernières années, il ne s'était pas constitué de langue littéraire écrite, commune à tous les Albanais. En grande partie sous des influences étrangères, et notamment sous celle des missions, on en a organisé une, dont l'importance est restée médiocre. L'orthographe de cette langue littéraire a com- mencé de se fixer il y a une trentaine d'années, et un congrès tenu à Monastir en 1908 l'a arrêtée en quelque mesure. Mais on voit combien tout ceci est récent et artificiel.Le trait dominant de l'histoire de l'albanais, c'est qu'on ne voit pas qu'il ait jamais exercé sur une autre langue une action notable, tandis que lui-même a emprunté de toutes mains. L'albanais se comporte à ce point de vue comme le basque, qui est tout pénétré de mots étrangers, et qui pourtant a conservé, au milieu des parlers romans qui l'entourent, un caractère tout à fait propre, sans pour cela fournir d'éléments de vocabulaire à ces parlers.Si la persistance d'éléments indigènes, et en parti- culier d'une grammaire particulière, atteste la conti- nuité d'une vie nationale, ce sont les emprunts de mots qui établissent les influences de civilisation.Le fait que l'albanais est, parmi les idiomes indo- européens, une langue tout à fait à part et ne se rattachant à aucune autre, et aussi indépendante du slave et de l'arménien que peuvent l'être le sanscrit et l'iranien, prouve que, malgré sa petitesse à toute époque, la nation albanaise a toujours eu son caractère propre et indépendant. Il y a là une petite nationalité qui ne s'est laissé absorber par aucune autre, là du moins of le caractère montagneux du pays permettait de résister à l'absorption par une nationalité plus développée. Mais l'albanais n'a, semble-t-il, rien fourni à d'autres langues à aucune époque. Les langues voisines de l'albanais ne lui doivent à peu près aucun emprunt, et ceci montre que la nation albanaise n'a pas exercé d'influence au dehors. Dans le passé comme aujourd'hui, elle fut composée d'individus souvent énergiques et difficiles à assimiler, mais qui ne se sont pas pliés aux disciplines qu'exige la civilisation et qui n'ont servi de modèles à personne.En revanche, les Albanais, moins civilisés que la plupart de leurs voisins, leur ont pris beaucoup de mots.Du grec ancien rien ne parait leur être venu : c'est un fait remarquable que le grec ancien n'a pas agi sur les langues situées au nord de son domaine, dans l'Eu rope continentale. Peut-être le grec avait-il agi sur le macédonien, qui a disparu de bonne heure et dont on De sait à peu près rien. Mais il n'a rien fourni à l'alba- mais, pas plus qu'au slave ou au germanique, avant l'époque chrétienne. Langue de régions côtières, le grec ancien n'a pas rayonné sur l'Europe continentale.En revanche, la conquête romaine a installé le latin dans les provinces romaines de Dalmatie, de Pannonie, de Mosie et de Dacie. Le roumain, qui tient encore une large place dans la presqu'ile balkanique et à l'ouest des Carpathes, témoigne de cette extension du domaine latin. Les lles dalmates, qui sont aujourd'hui de langue serbo-croate, donc slave, ont eu autrefois des parlers latins, tous disparus maintenant, mais dont les derniers n'ont cessé de s'employer qu'à date récente; encore dans les dernières années du dix-neuvième siècle, M. Bartoli a pu relever dans l'ile de Veglia, de la bouche d'un vieillard, d'importantes survivances de Fancien parler roman de l'ile. Dans la région où se par- lait à l'époque de l'empire romain la langue qui est deve nun l'albanais- et dont, bien entendu, les limites on même l'emplacement ne coincident pas nécessairement avec l'emplacement ni surtout avec les limites actuelles de l'Albanie, le latin ne s'est pas substitué à la langue indigène comme il l'a fait dans la région où s'est parlé le dialecte latin qui a abouti au roumain. Mais l'in- fluence romaine s'est fait sentir très fortement, et le vocabulaire albanais s'est empli de mots latins. Quand la diplomatie a eu l'idée malheureuse de donner à l'Albanie une unité politique et, avec cette unité poli- tique, un roi, celui-ci a reçu le nom de miret; or, mbret est simplement la forme qu'a prise en albanais le mot latin imperator. Des termes aussi courants que fjale parole a, flas« je parle sont d'origine latine; il s'agit du latin fabella (italien favella), Jabulare (espagnol hablar). Le chien se nomme gen (latin canit) L'albanais est si plein de mots latins que les romanistes sont obligés, dans leurs travaux sur le latin vulgaire, d'en tenir compte presque comme d'une langue ro- mane. Les emprunts au latin de l'époque impériale sont les plus anciens qu'on connaisse en albanais. Ils montrent daquel côté sont venues les premières grandes influences de civilisation qu'on constate sur la nation albanaise.Mais, bien que tous ses jours soient sur l'Adriatique et que, par suite, elle soit orientée vers l'Italie, l'Albanie, faisant partie de la péninsule balkanique, a subi des influences balkaniques, et le vocabulaire albanais renferme un grand nombre de mots grecs modernes et aussi de mots slaves Non seulement des mots, comme from siège (grec thronus), mais même des expressions comme l'ypset « il faut (grec eleipsa j'ai laissé »), papsem « je me repose (grec epafsa), sont grecs. Les emprunts au slave tiennent une moindre place, parce que le prestige de la civilisation slave était moindre. Il n'en manque pas cependant, ainsi saken a habitude », mot slave que le grec moderne adu reste également adopté. La domination turque a apporté à l'albanais beaucoup de mots islamiques : arabes, persans ou pro- prement turcs, Ainsi, comme presque partout où s'est étendue l'influence de l'Islam, I 'heures se dit sahat, le a temps se dit saman, mot persan qui s'est aussi répandu largement; etc.Mais la grande influence de civilisation est demeurée celle qui vient d'Italie, et, après avoir reçu très anciennement des mots latins d'époque impériale, l'albanais a reçu une foule de mots italiens; ainsi le gain, le profit (italien profitto) est désigné en albanais par fit. L'adjectif forte forta et le verbe dérivé forcoj je force ne sont autres que l'italien forte, forsare; l'albanais pagoja je paye est l'italien pagare; les exemples sont innombrables.D'où qu'ils viennent, les emprunts qu'a faits l'albanais à toutes sortes de langues sont assimilés et ont pris l'aspect de mots indigènes Ceci ne tient pas à ce que l'albanais aurait possédé, posséderait encore une force d'assimilation particulière, mais simplement à ce que ces emprunts ont été faits à la langue parlée, par des gens qui ne songeaient pas à écrire leur propre Tangue. Du reste, il ne s'agit pas en général de mots techniques ou de ces groupes d'expressions qu'on em- prunte systématiquement à l'étranger, en cherchant à leur maintenir leur caractère étranger. Parlant leur propre langue parce qu'ils tiennent à garder leur caractère à part, les Albanais n'ont pas cherché à reproduire des formes étrangères. S'ils ont adopté des termes étrangers, c'est parce qu'ils en sentaient le besoin et que leur propre idiome ne leur en fournissait pas l'équivalent. Mais l'étranger n'a pas eu pour eux assez de prestige pour les amener à conformer ces em- prunts à l'usage d'autres langues, et ils ont plié à usage de leur propre idiome les mots très nombreux qu'ils ont pris au dehors.La langue albanaise donne ainsi une idée juste de cette petite nation qui n'a jamais rien fait pour se don- ner une unité, pour agir sur ses voisins en tant que nation, qui a eu et qui a son existence à part, sans influence extérieure, mais qui, dans la mesure où elle subit des influences, adapte ce qu'elle emprunte et garde en tout un caractère spécial; ce caractère ne comporte ni beaucoup d'invention, ni beaucoup d'origi- nalité; mais il ne se confond avec rien. L'albanais n'ajoute rien à ce qui se voit ailleurs; mais il est autre.La force de résistance qu'opposent les Albanais à l'assimilation se voit en Italie, où des colonies albanaises se perpétuent depuis longtemps sans se fondre avec les populations environnantes. On trouve de ces colonies dans les Abruzzes, en Calabre et en Sicile; les plus anciennes sont celles de Sicile, qui remontent jusqu'au quinzième siècle. Ailleurs, les Albanais ont moins fortement résisté, et l'on sait que, dans le royaume de Grèce, et notamment en Attique, beaucoup de gens qui aujourd'hui parlent grec sont des Albanais hellénisés.La survivance d'une petite langue comme l'albanais est du même ordre que la persistance du basque; mais, pas plus que celle du basque, elle ne justifie la constitution d'un Etat autonome.Le particularisme d'une langue qui n'a eu aucun rayonnement au dehors, qui n'a été l'organe d'aucune littérature, d'aucune pensée neuve et qui est restée confinée dans une petite nation dénuée de civilisation propre, ne donne pas lieu à la création artificielle d'un Etat.A. MEILLET, Hebdomadaire 7 aut 1915
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Tirana, 30 Juin 1928 S. KOLEA
《Shqiperia e Re》
L'auteur de l'article, qu'on vient de lire, n'est pas tendre à l'égard des petites nationlités; celles-ci, à son avis, n'ont rien de mieux à faire que de disparaître à jamais.
Cette nouvelle consécration du principe de la force primant les droit, venant d'un homme Framçais et qui en plus est, d'un professeur de colege de France a du surprendre douloureusement tous ceux qui ont aimé et qui aiment toujours la France de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité, la France des Droits de l'Homme.
Nous ne nous permettons pas de mettre en doute que deja a l'époque où l'article en question a eté publié, bien des Français ont dit se récrier et réagi.
Le fait que sous l'impulsion de la France, Conferance de Versailles s'est intéresse activement au sort de toutes les national tél, même les plus petites, est une preuve éclatante que la théorie professée par M. Meillet n'a trouvé écho dans les pensers et les sentiments de l'immense majorité des Français.
Quei qu'il en soit ce n'est plus
le moment de nous attarder sur
le sujet.
Contentons-nous de voir clair
dans le fabras Cassertions gra
tuites, que M. Meillet a jetées
pêle-mêle dans son article, et
essayons d'en redresser les nom breuses inexactitudes et de réfuter, dans la mesure de nos faibles moyens, la thèse, dont il s'est révélé le champion, en ce qui concerne la langue et la nationalité albanaise, car c'est contre celle ci que M. Meillet décole chez le premier trait dans sa guerre contre les petites nationalités.
Les arguments sur lesquels
s'appuie l'auteur pour déplorer à
maintes reprises l'idée malheureuse qu'ont eue les Grandes Puissances d'avoir donné à l'Albanie une unité politique et pourdemander sur le plat la tête de la nationalité albanaise, étant d'ordre linguistique avec des disgressions dans le domaine de l'histoire et de la morale politique,
force nous est de le suivre dans
tous ces domaines, tout en faisant appel à l'indulgence deslecteurs impartiaux si l'exposition des faits nous obligera de nous étendre plus que nous ne l'aurions désiré sant appel a indulgence des lecteurs impartiaux si l'exposition des faits nous obligera de nous étendre plus que nous ne l'aurions désiré.
Relevons tout d'abord parmi les nombreuses contradictions dans lesquelles tombe l'auteur, celle qui intéresse de plus près les petites nationalités.
Tandis que tout au début M. Meillet reconnaît que l'Europe moderne est dominée par le principe des nationalités il ne s'en fait pas pour cela un scrupule pour soutenir en cours de son article des idées diametralement opposées à cette prèmisse.
Après avoir admis qu'il y a réellement une naton albanaise et que cette nation a toujours eu son caractè e propre et indé- pendant, et qu'elle ne s'est laissé absorber par aucune autre et plus loin qu'elle fut composée d'individus souvent énergiques, difficiles à assimiler et parlant leur propre langue parce qu'ils aimment à garder leur caractère à part et encore que cette nation albanaise emeritrais à part et garde en tout un caractère spécial M, Meillet conclut que tout cela ne justifie pas la constitution d'un Etat autonaume?
Qu'est ce qu'il est, donc, fallait de plus pour justifier à ses yeux la création d'an Etat autonome albanais dans une Europe dominée, comme il le dit par le principe des nationalités ?
M. Mellet prétend que c'es Autriche qui a, suscité en Albanie un Etat artificial". Ce n'est pas le seul point où il fait l'ère de l'histoire; nous en verrons bien d'autres par la suite.
En nous rangeant pour un mo ment à son point de vue, nous dirons qu'il oublie l'italie, surtout l'italic, qui depuis des siècles en- tretenait des écoles et des sé minaires, dans lesquels les jeunes Albanais, qu'ils fussent originaires d'Albanie on nés dans les colo- mies albanaises en Italie, rece valent l'instruction dans leur propre langue. De ces écoles et da ces séminaires est sortie une pléiade d'écrivains patriotes albanais, qui, citoyens ou résidents dans un pays libre, pouvaient scrire et agir limbrement pour exaler le patriotisme albanais et préparer des voies à l'indépendance de l'Albanie. exaler le patriotisme albanais et préparer des voies indépendentes, Rien de tel en Autriche. Ceci au point de vue de M. Meillet.
Mais la vérité historique est bien autre.
L'Etat alb nais a été constitué par la volonté de toutes les Puissences
Si l'Autriche croyait y trouver un intérêt particuliet, il y avait bien de l'autre côté de la barrière un contrepoids non indifférent; c'était la Russie des Tsars, qui, elle, ne voyait son intérêt, ou plutôt celui de ses clients balkaniques, que dans l'anéantissement de la nationalité albanaise. La décision dépendait donc surtout des Grandes Puissances:
Or, l'Angleterre, la France et l'Italie ne devaient pas, ne pouvaient pas laisser consommer le crime de l' humanité, souhaité par M. Meillet, sans renier des principes que l'Europe moderne avait proclamés sacrés et imprescriptibles.
Il y a des cas où la diplomatique doit tout de même mettre en ligne de compte le poids de l'opinion publique.
L'Europe pouvait peut-être ne plus avoir présente à la mémoire la résistance héroique, que, pendant un quart de siècle, les Albanais, sous la conduite de Georges Castriote Skanderbeg, leur chef immortel, opposèrent à la ruée des Sultans, et qui permit à la civilisation occidentale de se ressaisir; induite en erreur par une propagande audacieuse et effrontée, l'Europe avait peut-être fini par se méprendre sur le caractère véritable des luttes, que ces mêmes Albanais, dans le cours des siècles suivants, ne cessèrent d'engager témérairement contre les Turcs, sous des chefs qui, malgré l'identité de leurs convictions religieuses avec celles des envahisseurs, ne s'en sont pas moins révélés les dignes héritiers de la haine de leurs alnés contre la demination étrangère. Mais l'opinion publique earopéenne ne pouvait pas tout de même avoir oublié de sitôt des faits, trop récents, tels que la Ligue Albanaise de Prisrend et les nombreuses insurrections al- banaises contre l'absolutisme ha- midien et, par la suite, contre les menées panturquistes des Jeunes Turcs.
C'étaient là autant de preuves irrefragables de l'indomptable vitalité nationale albanaise, et pour ce qui concerne les révoltes à main armée, elles ont été en outre autant de coups de bélier décisifs qui furent la cause primordiale de l'effondrement de la Turquie.
Si des professeurs, genre Meilliet, croient n'en devoir tenir so aucun compte, les diplomates de so Londres sentirent, eux, que l' autonomie de l'Albanie s'imposait, même sans intervention de m l'Autriche, et ils donnèrent à la nationalité albanaise une u- nité politique malgré l'opposition de la Russie.
M. Meillet dit: La langue albanaise n'est connue que de- puis un temps assez court, On n'en a pas de monuments antérieurs au XVII siècle, et ceci déjà est significatif".
M. Meillet se trompe.
Presque aussitôt après la découverte de l'art d'imprimer paraît un premier livre albanais. C'est le livre de prières de D. Gjon Bozuku, imprimé en 1555, in 4°, en deux colonnes; l'exemplaire qu'on en a eu l'occasion de feuilleter se compose de 188 pages intactes, de plusieurs morceaux de pages, outre celles qui manquent complétement.
Quelque temps après, en 1592, parut la „Dotrina Arbërisht" de Lluk Matranga, et, en 1621, le livre de Pjeter Budi, évêque al- banais, originaire de Kruya, sous le titre ,,Pasqyra e Rreflmite" (Speculum confessionis).
En 1635 paralt encore à Rome la vocabulaire albanais de Franc Bardhi (Franciscus Blancus) évêque albanais de Mati, qui écrivait avant 1500.
A noter encore que les auteurs albanais des XVI et XVII siècles font mention de manuscrits de beaucoup antérieurs à leur époque, qu'ils auraient vus et consultés ou dont ils aura ent entendu parler leurs ainés.
Ceci pour un simple souci de précision qui n'enlève, du reste, rien au reproche que M. Meillet fait à l'albanais de n'avoir pas été écrit à une époque beau s'ocouper plus ancienne et surtout à l'époque où le christianisme. Et s'est propagé et où on a s général éprouvé le besoin de s fixer par écrit les langues qui avaient une certaine importance at nationale.
Du premier abord cela pourait paraitre absolument vrait. S'il en était réellement ainsi, les e Albanais pourraient quand même se consoler jusqu'à une certaine mesure en pensant qu'ils e ne sont pas les seuls dans le et cas. Bien d'autres peuples, et non des moindres, n'ont écrit leurs langues que bien tard.
Pour l'albanals cependant ce es reproche ne paraît pas tout à fait justifié. Il y a des indices et beaucoup de philologues le en sont convaincus que l'al- et banais actuel et avant lui les -parlers illyro-thraco-macédoniens, dont sans conteste possible de Il est la survivance, ont été écrits depuis la plus haute antentiquité.
Rien que l'état actuel de la langue albanaise, la richesse de son vocabulaire, ses conjugalesons et ses déclinaisons grammaticales, exceptionnellement riches et variées, les règles de la morphologie des mots et de la construction des phrases, sont une preuve suffisante qu'il s'agit d'une langue non complètement dépourvue de culture
Mais les preuves palpables?
Mais les documents écrits sont ils?
S'ils ont existé qu'est- ce qu'ils sont devenus?
Eh bien, ces preuves, ces documents existent et s'ils ne sont pas aussi nombreux que l'eût souhaité la science, la vraie science, la cause doit être recherchée dans les bouleversements qu'ont connus l'Albanie et les pays des ancêtres des Albanais actuels.
En effet un simple coup d'oeil, jeté sur l'histoire, suffit pour montrer que depuis les temps préhistoriques et jurqu'à nos jours ces pays, tous ensemble ou l'un après l'autre, ont été le théâtre de bouleversements que peu d'autres régions ont connus. Boulevard par où débouchèrent toutes les grandes invasions, les pays albanais ont eu à en supporter tout le poids. A des intérvalles, presque périodiques, de 4 à 5 siècles, ces contrées ont été bouleversées de fond en comble et toute trace du labeur et des efforts des po- pulations durant les intermèdes de paix et de tranquillité été anéantis.
Les oeuvres littéraires albanais s'il y en a enconcentrés dans un rayon relativement restreint, puisqu'il ne sagissait point d'une langue impériale comme le grec et le latin, ont qu facilement disparaître à jamais sous les décombres.
Les oeuvres littéraires albanais s'il y en a conu centrés dans un rayon relativement restreine, puisqu'il ne s' agissait point d'une langue impériale comme le grec et le latin, ont pu facilement disparaître car à jamais sous les décombres des cités rasées au sol et des campagnes dévastées par les envahisseurs. De cela dans tous les coins du monde ?
xemples sont malheureusement à i nombreux dans l'histoire des peuples.
Il n'y a, donc, là rien tré de surprenant ou d'inadmissible; l'ex c'est même le contraire qui eût nor dû surprendre et être considéré comme un miracle. L'humanité apre la science n'ont-elles pas à ou déplorer la perte irréparable de la partie la plus grande des bien littératures grecque et latine, pourtant impériales.
Malgré cela essayons de met tre à point quelques indices, ne fut-ce que pour inciter les jeunes à entreprendre des recherches et des études qui pourraient peut-être résulter fructueuses.
Commençons par l'Albanie actuelle.
Il est désormais presque hors de doute que dans les régions du nord (Illyrie et Dalmatie) la langue nationale a été écrite de bonne heure.
La vie intelectuelle de ces époques reculées étant concentrée entre les mains du clergé il s'ensuivait que la plupart des écrivains se servaient de préférence du latin, soit parce qu'ils avaient faits leurs études en cette langue dans les séminaires, soit aussi parce qu'ils voulaient s'adresser à un plus grand nombre de lectures. Les auteurs albanais qui ont écrit en latin sont nombreux.
Mais, malgré tout, les populations de ces régions n'ont pas complétement négligé leur idiome national, auquel ont été adaptés de bonne heure des systèmes d'écriture, appropriés à ses besoins phonétiques.
Il y a tout d'abord l'écriture glagolitique dont l'invention est attribuée à Saint Jérôme, et qui en tout cas est bien plus ancienne que l'écriture cyrilique. Adoptés par les Slaves, après la dénationalisation de toute la Dalmatie et d'une partie de l' Illyrie, les caractères glagolitiques sont considérés comme une écriture slave, mais à tort, car ils sont antérieurs à la descente des Slaves dans ces régions; du reste des philologues, slaves précisément, ont reconnu que l'écriture glagolitique est un ancien alphabet albanais.
Mals il y a une deuxième écriture nationale albanaise, en usage jusqu'à tout dernièrement dans l'Albanie du Nord, qu'on désigne sous le nom d'alphabet de Scutari, pour le distinguer des caractères actuellement en usage.
Cette écriture remonte de même à une époque antérieure au XV siècle, et les premiers livres albanais connus, dont les manuscrits datent du XIV siècle, ont été écrits en caractè des scutarins. Des philologues italo-albanais assurent que d'autres manuscrits de même époque, mais encore inédits, se trouvent dans la Biblothèque du Vaticane.
Venons à l'Albanie du sud et à l'Epire.
Les populations de ces contrées ont certainement dû suivre l'exemple de leurs frères du nord. Mais, faisait-on usage de l'écriture scutarine, ou de celle appelée par la suite glagolique, ou bien avait on adopté un alphabet spécial?
La réponse est bien difficile, car les documents manquent jusqu'à ce jour complètement.
Soumises, depuis le III siècle, politiquement à l'empire d'Orient et dépendant, au point de vue spirituel, du patriarcat grec de Constantinople, ces régions ont été le point vers lequel convergèrent les efforts de la propagande de grécisation, entreprise par la politique byzantine, bien avant le VII siècle. Sous l'empereur Constantin Copronymcette propagande, é igée en système politique, avait intensifié sa campagne de dénationalisation des allogènes par l'établissement de colonies grecques en Thrace, en Macédoine et en Epire. Les successeurs de cet empereur poursuivirent les mêmes voies.
La prise de Constantinople par les Turcs n'a en rien ralenti l'activité de cette propagande; tout au contraire celle-ci a puisé de nouvelles forces dans ce désastre. Tous les efforts que faisaient les populations allogènes pour se relever par la culture de leurs langues nationales, étaient impitoyablement étouffés par le clergé grec, soutenu par le gouvernement turc, qui méconnaissait ses véritables intérêts.
Tous les anciens écrits albanais ont systématiquement été anéantis; l'écriture de la langue était proscrite sous peine d'excommunication, et tout a été mis en oeuvre pour faire oublier aux populations chrétiennes jusqu'au parler national.
Le gouvernement ottoman de son côté suivalt le même procédé envers les populations musulmanes, mais avec cette dif- férence que s'il imposait le turc pour l'écriture, il laissait pourtant le peuple libre de parler sa propre langue,
Les manuscrits albanais, conservés dans quelques couvents musulmans sont de l'époque turque; quant à ceux décou- verts, dans la seconde moitié du siècle dernier, dans l'Albanie centrale, rien ne permet d'en faire remonter l'origine au delà du XV siècle, quoique par la forme des caractères ils paraissent se rattacher à l'écriture pelasgiqne.
Le tour maintenant aux parlers pré-albanai, dont celui-ci est incontestablement la survi.
Nous taxerait-on de présomption si nous nous hasardions de suggérer aux épigraphistes d'essayer d'arracher à ces monuments leur secret séculaire, en s'aidant de l'albanais?
Cela pourrait bien réserver des surprises dans le domaine de la linguistique et peut-être aussi dans bien a'autres domaines.
M. le Dr. Thomopoulos d' Athènes, avec le concours de l'albarais, a parait-il pu obtenir des solutions très acceptables des problèmes que posent beaucoup d'inscriptions, dont il n'a pas été possible d'avoir par d'autres voies une interprétation raisonnable avance.
Il n'y a plus personne au monde, pensons-nous, qui, de bonne foi, puisse mettre en doute que les Pélasges (Thraces. Phryglens, Iliyro-macédoniens, Chypriotes, Etrusques etc.) n'alent pas écrit leur langue depuis les temps les plus reculés.
Les auteurs grecs nous apprennent que les caractères dits phéniciens, leur étaient venus par les Pélasges et que pendant longtemps ces caractères ont été connus sous le nom de lettres pélasgiques.
Il existe du reste des documents; on possède de nombreuses inscriptions, dont on a pu déchiffrer quelques-unes, mais qu'il a été jusqu'ici impossible d'interpréter coup d'inscriptions, dont il n'a pas été possible d'avoir par d'autres voies une interprétation raisonnable
Les études de M. Ibrahim Grandi, restées malheureusement inédites jusqu'à ce jour, sont orientées dans le même sens.
D'autre part il y a lieu d'esspérer que les fouilles entreprises en Albanie par différentes misslous savantes, auxquelles le gouvernement éclaire de la république albanaise prête tout son concours, pourront faire sortir des entrailles de la terre de nouveaux monuments de l' ancien parler du pays. En outre une étude plus approfondie des palimpsestes et autres manuscrits, qui gisent dans les recoins des couvents ou dans les fonds encore insuffisamment exp'orés des bibliothèques publiques, pourraient mettre au jour d'autres documents précieux pour enrichir le domaine de la glossologie pélasgique.
Tout en admettant que l'albanais appartient à la grande famille de langues indo-germaniques, M. Meillet le classe dans le groupe des dialectes orientaux, à côté du slave, de l'arménien, de l'iranien et du sanscrit, et prétend, que à aucun moment l'albanais n'a été la langue d'une grande nation. On n'en a trace nulle part dans l'antiquité".
Que l'albanais soit un parler indo-germaniqne, à cela personne ne peut plus contredire; mais -ci qu'il se rattache tout particulièrement au groupe oriental, tel que l'établit M. Meillet, cela au parait quelque peu nouveau.
Nous savons que d'autres, en plus mocestes peut-être, ne sont pas en mesure de se prononcer sur la question. Mais s 'il y a des linguistes, qui ont fait des études approfondies en la matière, qui ont démontré que l'albanais, survivance du pelasgique, vient à la tête du groupe gréco-latin, beaucoups plus près du sanscrit que n'importe quel autre idiome de ce groupe.
M. Meillet avance que le passé de l'albanais est inconnu". C'est encore une assertion tout à fait gratuite.
Le passé de l'albanais est si bien connu; l'histoire, celle du le moins qu'on ne peut plus déformer au gré de ses désirs ou de ses intérêts, est catégorique sur ce point.
Hérodote déclare que les Illyriens les Epirotes, les Macédoniens, les Thraces n'étaient pas des Grecs forma eux une seule famille. Ailleurs, comme pour mettre plus en évidence cette distinction, il ajoute que les Grecs avaient fondé des colonies en Macédoine, surtout le long du littoral.
Maitres de tout le mouvement commercial, les Grecs finirent par assurer à leur langue une certaine prépondérance dans les zones maritimes; il en a été ainsi un peu partout; en Asie Mineure, en Italie, en Sicile, en France, en Illyrie, au Pont Eu-xin, en Libye et ailleurs. Le fait se trouve encore répété de nos temps sur la côte de la Macédoine et de la Thrace; les villes sont pour la plupart hellénisées, tandis que la campagne le hinterland est resté ce qu'il était.
Démosthène, dans ses philip- piques, tonne contre le roi de Macédoine, Philippe le barbare.
Un ancêtre de Philippe, Alexandre I, qui avait rendu des services aux Grecs pendant les guerres médiques, a été refusé an aux Jeux Olympiques, comme des étranger et ce n'est qu'après des de sinterventions puissantes qu'il y a pa été admis au titre de philhellène, d'étayé, pour les besoins de la cause Alexandre le Grand n'est jamais parvenu à s'exprimer couramment en grec et dans ses accès de colère il invectivait de préférance dans l'idiome de son n pays.
Après sa victoire du Granique set pour frapper l'esprit inquiet ,des Grecs, Alexandre envoya aux sanctuaires d'Athènes 300 boucliers avec la dédicace :《Alexandre, fils de Philippe, avec ses compatriotes et le Grecs, sans les Spartiates》 Eumène, secrétaire de Philippe et par la suite aussi d'Alexandre qui était d'origine grecque, était mal vu des troupes macédoniennes, qui finirent par le livrer à ses adversaires.
Thucydide, Strabon, Polybe, Diodore, Ptolémée, Pline et autres sont tous d'accord sur l'unité ethnique des Illyriens, des Macédoniens et des Thraces; or, ces derniers, de l'avis de toute l' antiquité, étaient les proches parents des Phrygiens, des Bithyniens etc. tous de race pélasgique.
On sait d'autre part que la théogonie hellénique est presque toute d'origine thraco-phrygienne et arcadienne; or, la plus grande partie des noms des dieux de part l'Olympe grec ont des affinités avec des radicaux, conservés dans l'albanais moderne.
Une infinité de noms propres, d'appellations géographique et autres, propres aux pays phrygo. illyriques, et la plupart des vo- cables de leurs idiomes particuliers, parvenus jusqu'à nous, appartiennent à des radicaux dont on retrouve les traces dans la langue parlée par les Albanais.
Dans les phrases qu'Aristophane met dans la bouche d'un dieu triballe, on retrouve sans la moindre difficuité les vocables et la construction de l'albanais parlé de nos jours; un Albanais ne saurait s'exprimer d'un autre manière; et cela date de plus de 24 siècles,
Ptaton dit que les Grecs ont eu des Phrygiens le vocable (=feu); pour le cas où cela serait vrai, notons que le vocable phrygien existe dans langue parlée par les Albanais. Ceux-ci l'auraient-ils emprunté aux Grccs? -en ont-ils hérité des parlers ancestraux?
Après, tout ce qui vient d'être dit, pourquoi ne pas admettre cette dernière alternative?
Est-il bien nécessaire de nous résumer?
Par ce qui vient d'être exposé succintement - il ne s'agit pas de faire ici un cours d'histoire ou de linguistique-nous croyons qu'il résulte clairement:
1° que les Albanais sont les arrières-petits-fils des Illyriens, des Macédoniens, des Thraces, des Phrygiens et des autres peuples de même famille, dont les idiomes ne différaient entre eux que par des nuances dialectales. 20. que l'albanais moderne est la survivance de la langue que parlaient ces peuples il y a au moins 24 siècles.
3° que par conséquent son passé n'est pas inconnu, comme le veut M. Meillet.
4º que, tout comme le celtique, il a été parlé par un grand nombre de peuples, ce qui, croyons nous, satisfait pleinement au pos- tulat de,,grande nation" que pose M. Meillet.
M. Meillet ajoute Jusqu'à ces dernières années il ne s'était pas constitué de langue littéraire é crite commune à tous les Albanais.
Nous croyons avoir suffisamment démontré qu'il s'en était bien constituée one; les nombreuses oeuvres littéraires, publiées depuis le XVI siècle, sont là pour enlever toute valeur à cette as- sertion, et cette langue était bien commune à tous les Albanais" puisque l'auteur lui même reconnait explicitement que les ressemblances entre les parlers locaux sont très grandes et que tous les individus parlant albanais peuvent, avec peu d'efforts, s'entendre entre eux".
Si le mouvement littéraire n'a pu atteindre à un plus grand développement, la faute n'en peut être imputée qu'aux conditions politiques dans lesquelles, pendant des siècles, s'est débattue la nation albanaise, sous la double férule tyrannique des gouvernements byzantin et tout d'une part et du patriarcat grec de l'autre.
M. Meillet se trompe évidemment dans ce qu'il dit à propos du congrès tenu à Monastir en 1908. I ne s'y agissait pas de fixer l'orthographe de l'albanais" mais bien d'unifier les différents systèmes d'écriture de la langue.
Jusqu'à cette époque, ceux qui écrivaient en albanais avaient dû se plier aux possibilités et aux ressources que leur offraient les circonstances et le milieu dans le quel ils étaient obligés de travailler, d'où multiplicité de caractères alphabétiques suivant qu'on écrivait en Amérique, en Bulgarie, en Fgypte, en France, en Italie, en Roumanie ou ailleurs.
Le congrés de Monastir, tenu à la suite des espérances qu' a- vait fait naître, pour un moment, l'avènement des Jeunes Turcs, s'est proposé justement de mettre fin à cette multiplicité de systèmes d'écriture.
Poursuivant son réquisitoire contre l'albanais, M. le Professeur A. Meillet, déciare que cet idiome" n'a jamais exercé sur une autre langue une action notable et a lui-même emprunté de toutes mains"
Rien d'extraordinaire ni de surprenant dans le fait - si pourtant vrai que l'albanais n'ait eu de l'influence sur d'autres langues.
Refoulés de plus en plus dans un petit coin du vaste territoire que leurs ancêtres occupaient à l'aube des temps historiques; entourés et obligés de lutter sans cesse contre des voisins, de jour en jour plus entreprenants, qui ne cessaient de convoiter jusqu' au dernier lambeau de leur pa- trimoine, les Albanais, n'ont pu avoir, dans le cours des siècles, ni le temps, ni la tranquillité d'esprit, ni les moyens matériels nécessaires au développement intellectuel et littéraire et au rayonnement commercial, qui seuls peuvent exercer de l'influence sur les autres.
Ceci dit, ajoutons que nous ne croyons pas hors de propos de conseiller à tous ceux qui partageraient les opinions de M. Meillet, d'étudier avec un peu plus d'impartialité le grec moderne. Il se peut qu'ils y trouvent, soit dans le domaine de la phonétique soit dans celui de la construction des phrases, des éléments qui les engageraient peut-être à changer d'avis sur ce point; cela indépendamment de tous les mots pélasgiques, admis avec droit de cité dans le grec ancien, et de tous les vocables albanais, infiltrés dans le grec populaire, et qui y sont d'un usage courant, malgré les efforts des épurateurs.
Que l'albanais ait emprunté aux autres langues, plus avantagées que lui-même au point de tvue politique ou littéraire et commercial cela est indéniable; il n'est du reste ni le premier ni le dernier de la série.
Ces emprunts ne paraissent pas avoir eu toutefois l'importance que semble vouloir leur prêter M. Meillet, qui n'a parlé que par oui-dire, car on voit bien qu'il ne connaissait pas l'albanais.
Malgré cette ignorance, l'auteur n'a point hézité de se lancer dans des recherches étimologiques sur une dizaine de mots, qui, suivant toute apparence, lui ont été fournis par d'autres, intéressés au dénigrement systématique des Albanais et de leur langue.
Les amateurs de paradoxes et de bons mots colportent vo- lontiers qu'un homme politique, plein d'esprit et de valeur non commune, aurait demandé deux seules lignes d'écriture pour e condamner un homme. M. Meillet, professeur de langnes au Collège de France, n'en ce demande pas autant; avec douze Vocables insignificants il prononce condamnation contre tout un peuple.
Nous aurions désiré nous en arrêter là, car ce qui suit, c'est à dire les arguments étymologiques alignés par M. Meillet, sont de vaines puérilités. Mais comme il se peut, malgré tout, ne fatce que par égard à la qualité de l'auteur, qu'on attribue à ces enfantillages plus de valeur qu'ils ne peuvent avoir en réalité, force nous est de ne pas laisser passer sous silence aussi ce dernier point.
Mbret (roi) C'est simplement la forme qu'a pris en albanais le mot latin imperator" dit M. Meillet.
Notons en passant que les avis sont partagés sur l'origine de ce dernier vocable.
D'aucuns pensent que: imperator (-empereur) n'a qu'une ressemblance homographe avec le terme imperator (qui commande et, par la suite, général victorieux). On sait que les Romains avalent en horreur le nom même de rot (rex); aussi lorqu'- ils se sont trouvés dans la né- cessité d'exprimer la dignité royale, ils y ont pourvu en empruntant les termes adéquats aux anclens parlers italiotes.
C'est ainsi, prétende-t-on, qu- ils auraient cu des Osques le vocable: embratur ou mbratur (-roi, proche parent, semble-t- il de l'ancien grec Prafos), que les grammairiens auraient accommodé pour le confondre phonétiquement avec le vocable lain. Il en a été de même du mot Caesar adopté de la langue des Etrusques: *Kaesar (roi), vocable qui, par une coincidence pas tout à fait fortuite, puisque les Etrusques étaient des Pêlasges, se retrouve dans l'albanais: *kézar (-celui qui ceint le diademe).
Mais ceci pour simple mémoire. M. Meillet paraît faire un crime aux Albanais de ce qu'ils auralent adopté ce vocable; mais qu'y a-t-il d'extraordinaire dans se fait ?
Les Albanais n'ont connu les empereurs qu'avec la domination romaine; dès lors il était tout naturel qu'ils prissent aussi le vocable en usage chez les dominateurs; eela c'est vu de tout temps et partout.
Quoi qu'il en soit, ajoutons que dans l'albanais ne manquent point les termes équivalents; obéissant à des rois depuis les temps préhistoriques, les Albanais ont bien conservé dans leur langue des vocable comme: kren, rregje, prenn (et prent), prek (et prenk). çelë, ceke et peut-être d'autres, équivalents à: roi chef, seigneur etc., dont quelques-uns confinent avec les termes de même signification de la grécité préhis- torique et du gaulois préromain. Fjale et flasij „des termes aussi courants sont d'origine latine; il s'agit du latin fabella
(Ital. favella), fabulare (esp. hablar)" avance M. Meillet.
(Ital. favella), fabulare (esp. hablar)" avance M. Meillet. D'après cela il résulterait que les Albanais ont dû attendre l'occupation romaine et pourquoi pas encore la formation de l'italien moderne et le l'espagnol pour arriver à exprimer deux idées parmi les plus élémentaires et les plus usuelles dans le commerce de toute société humaine, même primitive!
La vérité heureusement est toute autre. Il y avait dans le bagage indo-germanique des radicaux: fly, flo, fle, fel, fol, desquels les Grecs ont eu leur : flyo (=parler), congénère peut- être du lat n: flo de même sig- nification et proche parent de l'albanais: fjale (pour fjale) et flasij (fola, flet, filt, fliste). Ici on se rapproche d'un autre radikal indogermanique: faf (dernier f pour le digamma) et fah (le h pour le digamma à esprit rude) dont les Grecs ont tiré
leurs: fooo et femi, les Latins leur: fari (dont fabula et son diminutif fabella et que les Albanais ont conservé dans them (thene, thashë, thuaj, thoshte, theshte, etc.
Qen, du latin canis" d'après M. Meillet; or, canis est identique au grec kyoon et au sanscrit çuan (ou svan) et kvan qui se trouve aussi shunah, çu- nas, shuni. Pour le vocable grec kyoon (gén, kynos) Platon dit que les Grecs l'auraient eu des Phrygiens, qui le pronocent avec une petite différence".
Quoi qu'il en soit, les Albanais, qui depuis la préhistoire élevaient leurs fameux chiens molosses, possèdent dans leur langue les vocables qen, qen et çen dérivés, de toute évidence, d'un radical comun indo-germanique.
Mais même en admettant que, il aparait impossible, le vocable genait été emprunté au latin canis, cela ne constitue pas une preuve de l'indigence de la langue, un comme parait le croire M. Meil- let; l'albanais a conservé jusqu'- à ce jour les synonymes; shak pr et pour le féminin: shage, bice, bece, buçe, bushterë, mece, gore, kute et autres.
Fron du grec thronos. C'est ar parfalt: mais à côté de ce vocable, qui est en quelque sorte spécialisé, il y a en albanais les à synonymes: shkam et selije, d'un usage beaucoup plus courant. Mais au fait, est-il juste de reprocher aux Albanais cet emprunt, imposé par la domination byzantine et par l'église grecque, alors que d'autres nations, et parmi les plus avancées, ont emprunté aux Grecs, sans y être contraintes, ce même vocable?
Lypset (et lipset),,du grec eleipsa= j'ai laissé" dit M. Meillet. Notons que pour le grec le sens est: manquer, falloir.
Quoi qu'il en soit l'albanais possède les verbes: lyptj et lipij, avec leurs dérivés et dont la signification, presque identique est: avoir besoin, demander, exiger, réclamer, solliciter, implorer, mendier, etc.
Serait-il téméraire après cela de prétendre que les Albanais n'avaient point besoin d'emprunter à leurs voisins du sud le vocable en question, dont on devrait chercher les ascendants dans un fonds commun indo- germanique?
Papsem (= je me repose) ,,du grec epafsa". Tout à fait inconnu en Albanie ce vocable est peut-être en usage dans les colonies albanaises en Grèce.
Pour exprimer l'idée de repos les Albanais ont: pushoj, qetem, çlodhem, prěhem, merxej et autres synonymes.
Zakon. Vocable en effet slave, d'un usage très courant en Albanie.
Toutefois la langue possède en plus les synonymes: doke, Ixaje, ojinijet sull, peut-etre d'autres encore.
Sahat. Vocable Introduit par la domination turque et comme tel mis à l'index par les Albanais. Les équivalents albanals here et herezě l'ont presque complètement remplacé.
Zaman, Mot dû également à la domination turque. M. Melliet assure qu'il est largement eépannu". Qu'il nous soit permis d'en douter; en Albanie on a entendu de tout temps et partout le vocable kohe; il se peut que, rarement et dans des cas particuliers, des Albanais turquisants ou des Turcs, connaissant imparfaitement l'albanals, ar aient pu employer le mot zaman et a noter que le terme en question est en usage courant dans les autres pays balkaniques.
Fitim (et non pas fit) de l'italien proffitto pense M. Meillet On serait tenté de penser le contraire, c. à. d. que d'un fitim italien eût plutôt pu résulter un profitto albanais; mais nous ne demandons pas tant que ça.
Nous notons seulement que profitto vient d'un verbe latin proficio, lui-même composé de pro et facio, d'où imposibilité d'en faire dériver fitim es les autres mots de même famille en albanals.
Mais si l'on tlent absolument à faire venir l'albanais du latin, pourquoi ne pas orienter les recherches du côté de vincere et e victoria?
= Ishys, ygjela et autres. Forte et le verbe dérivé forcoj (fortësoj plutôt) ne sont autre que l'italien: forte, forzare" s'affirme doctoralement M. Meillet.
Son erreur provient de ce qu'il a perdu de vue les latins: fortis, fortesco, (devenir fort), les grecs: ferteros, fertatoz, sfodhra, le gothique: hart le slave: vreden et d'autres encore. L'albanais possède en outre les vocables: <fertyme> et <vertik> qui au besoin, sufisament pour prouver e que M. Meillet se trompe pour n le moins de porte. Pagoj du ts, pagare des Italiens". Or ce - dernier paraît venir d'un pacare (-apaiser) latin tout comme les franco-romans: payer, poyer, ait palar, pagar, paguar etc, l'es- le pagnol: pagar, et l'anglais : to es pay; pour une fois les Albanais ce trouveralent en excellente compagnie; ils perdraient à s'en vouloir séparer. Aux linguistes, au- qui connaissent aussi le la fin: placare et les radicaux slaves: plat, plak, plaq, lesquels se retrouvent aussi sauf erreur, dans en le roumain, de dire si nous nous trompons.
Tirana, 30 Juin 1928 S. KOLEA
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